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Les villes du Maroc : Asilah le festival, la vie

17.08.2005 | 15h16

L'été venu, une marrée humaine se déverse sur Asilah. La belle endormie se réveille alors, hospitalière et alerte. Elle accueille ses visiteurs de l'été où se mélangent les amoureux de l'espace, qui aiment à se perdre dans les dédales des ruelles à la propreté irréprochable, les passionnés des beaux-arts qui se plaisent à contempler les murs de la cité, chargés de fresques qui se déclinent en une palette de couleurs et de formes, signature de peintres de renom venus des quatre coins du monde, les mordus de la poésie et de la culture qui trouvent leur bonheur à écouter les grands maîtres de la prose qui y font le pèlerinage, en un rituel qui dure depuis 27 ans, les épris de l'océan que les étendus de sables et de mer suffit à combler le désir en sensations fortes et en émotions de tous genres et les simples curieux que cette animation soudaine de la ville, dont rien ne vient habituellement rompre le calme légendaire, attire.

Asilah au mois d'août, c'est le festival culturel international. L'événement créé il y a 27 ans marque de son empreinte la cité balnéaire. Elle s'y associe totalement aujourd'hui. Porté par deux hommes, qui en ont conçu l'idée, tracé l'itinéraire et marqué le destin, en l'occurrence Mohamed Benaïssa et son ami de toujours Mohamed Melehi, le Festival culturel international d'Asilah est devenu au fil du temps et des années un moment de partage et de rencontres diverses.

Des hommes et des femmes, des intellectuels, des scientifiques, des chercheurs, des poètes et des artistes s'approprient l'espace durant la période estivale. Asilah devient un haut lieu de la rencontre des cultures et des confessions, des créations, des émotions et de rêves multiples.

La parole libre, sans contraintes, fait revenir à chaque année dans la ville les hommes à l'esprit indépendant et aux engagements clairs et authentiques. D'autres y retournent parce qu'ils ont été conquis par le charme de la cité. Beaucoup sont devenus des inconditionnels du festival culturel d'Asilah, parce que la petite ville de l'atlantique a parlé à leur âme, les a séduite.

Tchykaya U Tam'si, le poète africain, aimait à circuler dans la ville, se mélanger à sa population et humer ses odeurs et s'enivrer des senteurs que dégagent les plantations que les habitants mettent un soin particulier à entretenir pour en décorer les devantures de leurs maisons basses, peintes à la chaux blanche.

Lorsque ses pas fatigués ne le portent plus, le poète trouvait refuge dans un jardin où il s'installait sur le même banc face à la mer, pour se plonger dans la méditation. Un moment de calme, de détente et de paix qu'il appréciait tout particulièrement à l'heure du coucher du soleil. Chykaya U Tam'si, emporté par la mort, n'est plus revenu à Asilah. Mais la ville s'en souvient à jamais. Une plaque commémorative est placée dans ce même jardin où le poète venait se reposer et qui en porte aujourd'hui le nom.

Ghassan Abdelkahlek était, jusqu'à l'année dernière, une figure imposante du Festival. Le journaliste libanais concrétisait un vieux rêve. Il organisait la première édition du cinéma Sud-Sud. Une idée qui l'habitait et qui consistait à montrer la "richesse du cinéma des pauvres". Le pari a été tenu et le public, enthousiaste et émerveillé, a pu découvrir des œuvres cinématographiques variées, portant des signatures marocaines, iraniennes, indiennes, chinoises, argentines ou encore nigérianes.

Le grand dessein de Ghassan Abdelkhalek pour ce festival, dont l'idée a germé puis grandi à Asilah, était de faire rencontrer les producteurs, les réalisateurs et les acteurs pour l'éclosion de projets et d'initiatives à même de permettre, à terme, l'essor de la production cinématographique des pays du sud. Le projet est encore à ses débuts, mais Ghassan Abdelkahelk n'est plus là pour veiller à son aboutissement final. Il est parti l'an dernier, à Paris, des suites d'une crise cardiaque.

Son souvenir est aujourd'hui vivace. Sa silhouette imposante hante encore les murs de la bibliothèque Bandar Ibn Soltan, où il veillait scrupuleusement au bon déroulement des opérations, tel un chef d'orchestre donnant le ton, guidant de sa baguette la troupe de musiciens. Le Festival du cinéma Sud-Sud était une symphonie harmonieuse et réussie, sans fausse note ni mauvaise partition.

Des cinéastes, des producteurs, des acteurs et d'autres personnalités du monde de la culture et du septième art ont fait le déplacement ce début de semaine à Asilah pour rendre hommage à leur ami.

La ville a retenu son souffle pour accueillir les vedettes du petit et grand écran. Des stars qui ont pris l'habitude de se mouvoir en toute tranquilité dans la petite cité, loin des feux des projecteur. Les habitants d'Asilah ont pris l'habitude d'acueillir les grands de ce monde: personnalités politiques, chefs d'Etats, poètes et artistes de renom et à s'effacer pour leur faire de l'espace, sans les étouffer et sans les assaillir.

L'aspect intime et bien rangé de la ville encourage beaucoup à venir se perdre dans ses dédales et savourer un coucher de soleil en toute quiétude.

Mohamed Lahbabi, le philosophe marocain, Mohamed Abou El Kassem El Haj Hamad, l'écrivain et homme de lettre soudanais et bien d'autres penseurs aujourd'hui disparus, ont marqué de leur passage la ville. Celle-ci continue à s'en souvenir et à leur rendre un hommage posthume.

Asilah honore tous les hommes qui lui ont voué une admiration, qui s'y rendaient régulièrement et qui sont mort en la portant dans leur cœur. Ces hommes qui emplissaient de leur paroles, de leurs rires et de leur complaintes, parfois, les espaces de rencontres du Festival, font à jamais partie de la mémoire d'Asilah.

A chaque coin du Centre Hassan II des rencontres internationales, du Palais de la culture et de la bibliothèque Bandar Ibn Soltan, des lieues rénovés ou nouvellement construits pour accueillir les différents programmes du Festival, il se trouve quelqu'un pour évoquer leur souvenir.

Ces infrastructures utiles, que la ville aura gagnée au long des vingt sept années passées, sont des espaces que certains parmi eux ont fréquenté assidûment.

La petite bourgade, dont l'activité tournait il y a quelques années autour des petits métiers de la pêche artisanale et du commerce hebdomadaire de produits de première nécessité, affiche aujourd'hui de grandes allures d'une cité tournée vers le futur, nourrissant l'ambition d'une véritable station balnéaire touristique.
Les édifices utilitaires ou modernistes meublent petit à petit son espace. La bibliothèque, construite grâce au festival, est un bâtiment imposant.

Un haut lieu de la culture qui mérite à être exploité. Dotée d'un équipement sophistiqué, ultra-moderne, ce haut lieu du savoir et de la communication trône au milieu de la ville, désert, attendant que des chercheurs viennent l'investir et profiter des multiples atouts qu'il offre.

Le centre Hassan II des rencontres internationales, qui ne désemplit jamais en période du festival, est un cadre idéal pour les échanges, les débats et les spectacles variés. Le Palais de la culture, joyaux de l'architecture arabo-musulmane, est un véritable havre de paix où les participants du festival aiment séjourner et se détendre. Un espace digne des mille et une nuit, où les artistes se produisent ajoutant au charme de leur interprétation musicale.

Asilah, porte l'estampille de son festival. Un label, que les zailachis arborent en toute fierté et pour cause. L'événement ponctue leur vie. Il les faits vivre, tant économiquement, qu'intellectuellement et spirituellement.

Dans les ateliers de peinture pour enfants, beaucoup ont vu leur talent éclore et se développer, de même que se forgeait leur caractère artistique et s'affirmer leur identité d'hommes et de femmes. Les ateliers ont formé des générations de peintres, partis depuis à la découverte d'une destinée d'artiste.

Dans les souks, dans les rues et les maisons, tout porte la marque d'un festival qui a contribué au rayonnement international d'une petite ville qui ne constitue pourtant q'un point minuscule sur la carte du monde.

Asilah, terre du dialogue des cultures et des civilisations a porté, très tôt, un projet qui depuis les attentats du 11 septembre 2001, à New York, est devenu une revendication des intellectuels du monde, relayée par les instances internationales.

Le rapprochement entre les cultures et les confessions se fait à Asilah depuis 27 ans, à travers son Festival, et depuis la nuit des temps. Car, la cité balnéaire a été conquise par les romains, les portugais, les espagnols et bien d'autres civilisations dont elle conserve à la fois la mémoire et les vestiges.

Le brassage des civilisations s'est fait à Asilah, depuis les temps anciens, dotant sa population d'une tolérance naturelle et d'un esprit d'ouverture que le festival culturel international contribue à perpétuer.

Aucun être qui visite Asilah ne se sent dépaysé ou hors de son élément. Il se fond tout naturellement dans l'espace pluriel de cette cité ouverte sur le monde.


Khadija Ridouane | LE MATIN